Etats-Unis : le secteur automobile s’engouffre dans une grève historique

, Etats-Unis : le secteur automobile s’engouffre dans une grève historique

A l’arrêt

L’échec de négociations entre les constructeurs et le syndicat représentant 146 000 salariés précipite ce secteur déjà chamboulé par la pandémie dans un mouvement social d’une ampleur inédite. Cela pourrait à terme paralyser toute la production en Amérique du Nord.

Minuit a sonné et les machines se sont aussitôt figées. A Toledo (Ohio), Wayne (Michigan) et Wentzville (Missouri), le débrayage concerne quelque 12 700 ouvriers de trois usines d’assemblages appartenant chacune à l’un des trois grands empires américains de l’industrie automobile – General Motors, Ford et Stellantis (l’ex-Chrysler, issu de la fusion avec PSA). Abandonnant leurs postes de travail, ils ont ainsi lancé la première salve d’une grève historique : jamais jusqu’alors l’ensemble du «Big Three» n’avait été simultanément touché par un mouvement social.

En cause, l’expiration et la renégociation de l’accord-cadre dont bénéficient 146 000 salariés représentés par le syndicat United Automobile Workers (UAW), qui réclame avancées sociales et revalorisations à la mesure des bénéfices réalisés et du boom des rémunérations de leurs patrons. Soit 36 % d’augmentation des salaires sur quatre ans – puisque c’est là peu ou prou ce dont ont bénéficié en si peu de temps une Mary Barra (29 millions de dollars en 2022) à la tête de General Motors ou un Carlos Tavares (24,8 millions de dollars) chez Stellantis –, la prise en compte de l’inflation, la fin d’un échelonnement des revenus causant des inégalités entre travailleurs, des semaines de travail allégées, une meilleure prise en charge des soins et de la retraite, ou encore le renforcement de la sécurité de l’emploi.

Tactique inédite

Les réponses offertes par les constructeurs à ces demandes – dénoncées comme «déraisonnables» et susceptibles de les mettre en «faillite» – se sont fait languir depuis des semaines que la tension monte. Et si des progrès significatifs en matière de salaires ont été mis sur la table lors des toutes dernières heures (17,5 à 20 % d’augmentation en quatre ans et demi), les discussions demeuraient au point mort sur les autres fronts de revendication.

Les salariés pointent que malgré les secousses essuyées au gré de la pandémie de Covid-19 et du dérèglement des chaînes d’approvisionnement, les profits de l’industrie automobile ont bondi de 92 % entre 2013 et 2022, pour totaliser 250 milliards de dollars. Au cours de la même période, pas moins de 66 milliards ont ruisselé sous forme de dividendes et rachats d’actions – mais sur les actionnaires, pas les salariés. «Stellantis ne peut pas s’en empêcher, en annonçant à l’instant qu’ils opèrent ENCORE 500 millions de dollars de rachats d’actions, s’emportait jeudi l’UAW sur X (ex-Twitter). S’ils ont de l’argent pour Wall Street, ils en ont certainement pour les ouvriers qui font tourner cette industrie».

Actant la stagnation des pourparlers à l’expiration de l’ultimatum fixé à jeudi soir par le syndicat, sa menace fut donc aussitôt mise à exécution, et la grève mise en œuvre selon les termes inédits d’une tactique de montée en puissance et de blocage ciblé. Une ligne en rupture avec la tradition de débrayages massifs qui prévalait lors des précédentes mobilisations nationales connues par le secteur, depuis les années 1930, qui donnèrent naissance à l’UAW, jusqu’aux six semaines d’arrêt de 50 usines General Motors en 2019.

Entré chez Chrysler trente ans plus tôt comme électricien et fraîchement élu à la présidence de l’UAW, où il se révèle un remarquable communicant et stratège, Shawn Fain entend cette fois procéder par des opérations circonscrites à quelques usines bien choisies, dont le rôle clé dans les chaînes de production pourrait suffire à grever des pans essentiels de l’industrie et les profits. Cerné jeudi soir par les caméras et micros des médias devant le piquet de grève de Wayne, dans la périphérie de Detroit, le leader syndical a dénoncé les «mensonges» de patrons qui auraient longtemps tout fait pour que les tractations s’étirent sans progresser : «La part du travailleur dans le tarif d’un véhicule est de 5 %. Ils peuvent doubler nos salaires sans toucher aux prix et empocher encore des milliards».

Le blocage des trois ateliers ciblés jeudi soir vaudrait à lui seul des millions de dollars de pertes par jour à chacun des constructeurs du Big Three, et les ouvriers du reste du pays sont appelés à se tenir prêts à les rejoindre tour à tour. Mais une amplification du mouvement, ainsi pensé pour durer sans assécher pour autant la caisse de grève du syndicat, pourrait suffire à provoquer une paralysie quasi totale du secteur à l’échelle nationale. «Deux usines [stoppées] par groupe, et vous pouvez à peu près réduire à néant [la production] en Amérique du Nord», a estimé auprès de CNN Jeff Schuster, responsable de la branche automobile de l’entreprise de conseil GlobalData. Une estimation du cabinet Anderson Economic Group chiffre le coût de dix jours d’arrêt total du Big Three à 5 milliards de dollars. Mais un mouvement court suffirait à remettre les chaînes d’approvisionnement sens dessus dessous.

Un défi d’ampleur pour Biden

Alors que l’automobile pèse 3 % de l’économie américaine, l’administration Biden a suivi les préliminaires de la grève au plus près, le président lui-même échangeant à diverses reprises avec Fain et les dirigeants des constructeurs pour les enjoindre de rester à la table des négociations «jour et nuit» jusqu’à parvenir à «un accord juste» et «win-win». La situation présente un défi d’ampleur et particulièrement miné pour ce chef de l’Etat qui se plaît à se dépeindre comme «le plus pro-syndicats de l’histoire» et vante à tous propos la réindustrialisation du pays comme le fer de lance de sa politique, mais doit composer, à peine plus d’un an avant de se présenter à nouveau devant les électeurs, avec une économie essentiellement perçue au prisme des effets saumâtres de l’inflation. Or, avant même la déstabilisation entraînée par un éventuel mouvement social à rallonge, le tarif moyen à l’achat d’un véhicule neuf (48 000 dollars) avait déjà enflé de 30 % en quatre ans, tandis que la hausse des taux d’intérêt, précisément pensée pour juguler la surchauffe des prix, achevait de rendre l’addition plus indigeste encore pour les Américains modestes et la classe moyenne.

Biden s’est déjà aliéné certains de ses soutiens syndicaux suite à son rôle dans l’accouchement au forceps d’un deal entre ouvriers et barons du fret ferroviaire l’an dernier. Et l’UAW lui a souvent exprimé sa défiance ces derniers mois, faute d’être convaincu par la transition des autos américaines vers l’horizon tout-électrique dont Biden se veut un héraut, dès lors qu’elle ne s’opérerait pas au bénéfice des travailleurs. Si le syndicat avait formalisé son appui officiel à la candidature du futur président démocrate en 2020, qui avait alors remporté l’Etat-clé du Michigan (berceau historique du secteur) par 11 000 voix à peine, «notre soutien doit être gagné, il n’est pas gratuit» a voulu rappeler mercredi Shawn Fain. «Il sera dicté par les actes, et il reste beaucoup de problèmes à régler. Des centaines de milliards de dollars de nos contribuables contribuent à financer la transition électrique et les travailleurs ne peuvent pas continuer à être laissés pour compte dans cette équation.»

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