Le Chili commémore le 11 septembre les 50 ans du coup d’État du général Augusto Pinochet contre le président socialiste Salvador Allende. Témoignages, position de la Suisse, reportage au Chili, rôle de la justice et des Etats-Unis: Le Temps propose une série d’articles pour comprendre les rouages et l’impact de 17 ans d’une sanglante dictature
Le palais de la Moneda brûlait, le président Allende était mort, et la chasse à l’homme commençait. Policiers et militaires arrêtaient les présumés sympathisants de la gauche par milliers, les enfermaient dans le stade national et les pourchassaient dans tout le pays. Nous, journalistes étrangers, retenus en Argentine à la fermeture de la frontière, fûmes amenés au Chili, trois jours après, dans un avion militaire. Reçus par Augusto Pinochet, persuadé que la presse internationale l’applaudirait. Moment inoubliable: la visite de la prison géante, le stade de 70 000 places dont un colonel nous vantait le confort… Lorsque nous vîmes un camion décharger une trentaine de jeunes détenus roués de coups. Quelques-uns des 5000 prisonniers (ils furent jusqu’à 7000) appelaient à l’aide. L’un d’eux jeta vers nous une boulette de papier avec le numéro de sa femme pour l’informer de son sort. La visite fut aussitôt écourtée. Le monde découvrait les débuts d’une dictature d’une cruauté inouïe.
J’avais appelé l’ambassadeur de Suisse Charles Masset pour obtenir sa réaction. Farouche anticommuniste, il me déclara que le soir du 11 septembre, il avait sablé le champagne avec ses amis. La publication de ce propos dans 24 heures provoqua de sérieuses turbulences à Berne. Où la question se posa: la résidence diplomatique suisse devait-elle ouvrir ses portes aux personnes en quête d’asile? Pour les Suisses menacés, ce fut le cas. Pas pour les autres. «Qui n’a rien à se reprocher n’a rien à craindre! », nous disait le vaillant ambassadeur. Cependant au fil des semaines et des mois suivants, une politique d’accueil fut peu à peu mise en place, dans de grandes tensions entre les organisations humanitaires et les hauts fonctionnaires de Berne. Quelque 250 personnes en ont bénéficié, alors que beaucoup s’imaginaient qu’il y en eut des milliers. Réfugiés reçus avec méfiance chez les uns, avec solidarité et engagement chez d’autres. Cet épisode a été analysé avec minutie par l’historien tessinois Maurizio Rossi dans son ouvrage Solidarité d’en bas et raison d’Etat. Le Conseil fédéral et les réfugiés du Chili, 1973-1976 (Ed. Alphil).
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