Le vignoble de Provence est-il vraiment bio

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Qu’ils se trouvent sur l’île de Porquerolles, les hauteurs du Luberon ou cachés dans les Alpilles, les plus beaux domaines viticoles provençaux sont la plupart du temps cultivés dans le respect de leur environnement. «Nous sommes plutôt un bon élève du bio avec 20 à 25 % de notre surface viticole, pas la majorité mais largement en tête en France et la tendance est au développement. De même pour la certification Haute Valeur environnementale (HVE), qui représente 30 %, parfois moins clivant que le bio qui impose des contraintes de production assez fortes», se réjouit le directeur général du Comité interprofessionnel des vins de Provence (CIVP), Brice Eymard. Un positionnement qualitatif qui va évidemment de pair avec la montée en gamme et la valorisation des vins sur le marché international. Mais la région est-elle écologiquement aussi vertueuse que son image paradisiaque laisse à penser ? Las. Sécheresse, incendies, gelées tardives, pluies diluviennes n’ont pas épargné la région ces dernières années. Comme pour toute la filière viticole, l’urgence consiste à trouver des solutions pour y faire face. Dans ces conditions, l’objectif du CIVP d’afficher un vignoble 100 % bio ou HVE à l’horizon 2030 relève-t-il du possible ou du vœu pieux ? Cofondatrice du Cabinet d’agronomie provençale et de Potagers & Compagnie, l’ingénieure agronome et œnologue Laurence Berlemont y croit dur comme fer.

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Depuis 25 ans, elle accompagne en ce sens une clientèle de stars et d’investisseurs – mais pas seulement – venus s’établir en Provence. Du littoral varois aux Baux-de-Provence, créant parfois leurs vignobles in extenso, elle les aide à élaborer leurs vins, s’occupe de leurs propriétés clés en main. Toujours dans le respect de la biodiversité et la diversification des cultures. Ainsi sur les 80 propriétés (1 300 ha) conseillées par le Cabinet d’agriculture provençale, 93 % sont certifiées en agriculture biologique. Voire certaines, agréées en biodynamie à l’instar des 180 ha de la cave coopérative des Vignerons de Correns depuis 2022 ou les 47 ha du Domaine de Saint Ser au pied de la Sainte-Victoire à Puyloubier. Pour Le Figaro, «l’œnologue des stars» comme elle est surnommée, revient sur l’historique de cette viticulture biologique de plus en plus maîtrisée, sur l’élan insufflé dès les prémices par les nouveaux investisseurs provençaux aussi fortunés que dénués d’a priori viticoles ainsi que sur les espoirs engendrés pour le futur grâce à l’essor de nouvelles techniques et procédés, souvent ancestraux.

En matière de viticulture biologique, quel était le panorama de la Provence quand vous avez démarré votre activité de conseil ?

Laurence Berlemont. – Quelques caves commençaient à s’y intéresser. Parmi lesquelles, envers et contre tous, les Vignerons de la cave coopérative de Correns (Le Val) certifiée bio dès 1997. À l’époque, les adhérents étaient considérés comme des illuminés. Il faut avouer que cela a été compliqué durant les premières années car ils essuyaient les plâtres. On n’avait pas encore le recul nécessaire, notamment pour gérer les adventices (on ne dit plus «mauvaises» herbes car elles ne sont pas mauvaises). Mais ce sont eux qui ont vraiment contribué à redécouvrir l’agriculture biologique. Je dis bien «redécouvrir» car avant les années 1950, c’était la norme. Les produits de synthèse ne sont arrivés qu’après la guerre. Parmi les premiers domaines sur lesquels j’ai travaillé dès 1996 en bio, il y avait aussi les châteaux Miraval, Margillière et La Lieue.

Des avant-gardistes ?

Surtout des convaincus. Car, on ne maîtrisait pas encore bien les techniques. Mais ces propriétaires étaient sensibilisés aux problématiques environnementales. De plus, l’UE proposait des soutiens financiers pour la conversion en agriculture biologique. Un coup de pouce supplémentaire à prendre en compte, y compris pour Correns. Mais sur les étiquettes, il ne fallait surtout pas mentionner qu’on cultivait en bio, le vin ne pouvait pas être considéré comme bon.

Le rôle des investisseurs a donc été déterminant en Provence ?

Au départ, il y avait surtout les vignerons de Correns. Ils ont osé se lancer sans herbicides ni fongicides. Et, ils l’ont fait avec leurs tripes, sans beaucoup de moyens et en mettant en péril leurs revenus. Je suis certaine que les investisseurs se sont dit, si les coopérateurs de Correns sont capables, on devrait l’être aussi. De plus, contrairement au «on n’a jamais fait, on ne sait pas faire» caractéristiques des agriculteurs établis depuis plusieurs générations, les nouveaux propriétaires n’étaient pas tributaires du passé. Pour un homme d’affaires qui a réussi, presque rien n’est impossible. Il a les moyens de se tromper, les épaules pour encaisser. À partir du moment où ces grosses propriétés ont accepté la prise de risque, ils ont servi d’exemple. Petit à petit, les autres viticulteurs se sont mis à reconsidérer le bio. Soudain, ce n’était plus un gadget «d’éleveurs de chèvres». Bien sûr, si les trois premières années avaient été désastreuses et les récoltes systématiquement perdues, mes clients auraient abandonné. Peu importent les moyens dont ils disposaient. D’ailleurs, ils sont nombreux à m’avoir prévenu : «D’accord, on essaye mais à la -première alerte, on arrête et, on repart en chimique.»

Cela n’a pas été le cas ?

Il y a eu un tournant en 2002, un millésime très compliqué à gérer pour tout le monde avec de la pluie sans discontinuer. Pour les propriétés déjà converties, la question s’est vraiment posée à ce moment-là de continuer en bio ou pas. Quelques-uns ont renoncé. Pour nous, 1996-2002 fut vraiment la période test. Être capable quand tout va bien, c’est facile. Mais être passé au travers de 2002, c’était le vrai défi. Ensuite, petit à petit, les compétences ont été acquises.

Il faut dire que le climat provençal est propice à ce type de culture…

Certes, il fait chaud et sec, conditions peu favorables au développement des maladies cryptogamiques (champignons). Et, il y a eu de très belles années qui permettaient de s’en sortir – même en étant approximatif au niveau des traitements. Le bio c’est «uniquement» l’interdiction de certaines molécules considérées comme cancérigènes, des produits qui tuent les vers de terre, les champignons, les bactéries, détruisent la microfaune et la microflore. C’est très simple, on les utilise, on n’est pas bio. On ne les utilise pas, on est bio. Point. Mais il faut faire la différence entre les herbicides et les fongicides ou produits phytosanitaires pour traiter les maladies cryptogamiques. Pour se passer des herbicides, il suffit de piocher. Beaucoup de viticulteurs de l’époque n’étaient pas bio car piocher demande une main-d’œuvre importante. Alors que traiter les maladies fongiques avec des produits bio, ils étaient nombreux à le faire.

Alors pourquoi ne pas cultiver uniquement dans le respect des équilibres naturels ?

Avec 24 % de notre surface viticole en bio, nous sommes quand même en tête dans l’Hexagone. Mais le coût reste un frein. Il est plus onéreux d’employer de la main-d’œuvre pour piocher que de désherber une bonne fois pour toutes. Quand on sait que le développement des machines pour le désherbage mécanique ne date que d’une vingtaine d’années, que le temps qu’on apprenne leur existence, qu’on ait les moyens de les acquérir et qu’on parvienne à s’en servir correctement, on en est encore aux balbutiements. D’où le rôle prépondérant des investisseurs. Car non seulement il fallait des moyens pour acheter ces nouveaux outils – un intercep c’était à peu près 20 000 € –, mais en plus, il y avait un risque car, on n’était pas certain de ne pas perdre la récolte pour la partie maladie. Mais il y a bien d’autres mouvements : la biodynamie, l’agroforesterie, la permaculture, la viticulture sur sols vivants… Chacun prend en compte des critères différents. Et chacun va dire, ça c’est important ! L’avenir, selon moi, serait que chacun se crée son propre label en piochant dans différentes techniques. Un peu de permaculture, d’agroforesterie, de maraîchage sur sols vivants et que parcelle par parcelle, on les utilise en fonction des besoins, du sol, de l’orientation.

Aujourd’hui, où en est-on ?

Dans les dispositions agroécologiques adoptées par l’AOP des Vins de Provence, l’interdiction du désherbage chimique des tournières (zone d’une largeur minimum de 6 mètres située à chaque bout de rang) et de la totalité des parcelles a été interdite en 2021 (décret du 3 juin 2021). C’est vraiment à mettre au crédit du syndicat car jusque-là, il y avait encore quelques vignerons qui -désherbaient à 100 %. Nous travaillons beaucoup sur la partie enherbement. On fait des essais, on n’est pas encore complètement au point. Quel type de plantes, quand les semer et où les planter pour qu’il n’y ait pas de concurrence au pied. Aujourd’hui, on sait quand et comment couper ou coucher l’herbe quand la concurrence en eau est trop importante pour faire un paillage comme un petit chapeau sur la terre afin que l’eau ne s’évapore moins.

Justement, à propos de la gestion de l’eau. Quelles sont les solutions ?

C’est un point crucial et complètement décorrélé du bio. Évidemment, en Provence, certains domaines ne sont pas irrigués du tout. Donc, on fait sans. Sinon, il y a plusieurs solutions prometteuses. Ainsi de l’arrosage enterré qui diminue l’évaporation par rapport au goutte-à-goutte et permet de piloter les besoins exacts grâce à des capteurs. Bien sûr cela présuppose d’avoir un accès au canal de Provence ou de pomper dans des rivières ou des forages. Ce qui est de plus en plus encadré et c’est normal. Le Centre du rosé travaille sur des cépages plus résistants à la -sécheresse. Parmi eux, le floréal qui a déjà reçu une dérogation de l’appellation. Les panneaux voltaïques orientables sont aussi une piste intéressante. Installés au-dessus des vignes, ils se rabattent pour la photo synthèse et quand il fait vraiment trop chaud, se déploient pour faire de l’ombre aux vignes et fournir de l’électricité. Mais il faut aussi s’inspirer de ce qui se passe dans d’autres pays beaucoup plus chauds que nous, l’Afrique du Nord ou Israël à la pointe de la maîtrise de l’eau. Avec mon équipe, nous travaillons sur le développement du chevelu racinaire des vignes pour qu’elles optimisent l’apport en eau.

Notamment grâce à la litière forestière fermentée ?

Oui. Une technique venue du Japon et largement utilisée de façon ancestrale en Amérique latine. La litière forestière (Lifofer) est une pratique restauratrice qui consiste à remettre du vivant dans les sols grâce à un compost issu d’une lacto-fermentation réalisée avec l’humus prélevé dans les forêts situées au plus proches des parcelles. Nous en sommes au stade de l’expérimentation mais les résultats sont spectaculaires, y compris sur la pousse et, nous sommes devenus référents sur ce thème pour la viticulture.
Ce sont autant de pistes sur lesquelles nous travaillons au sein du Cluster Provence rosé. Un groupe de travail fondé en 2014 et qui rassemble des entreprises en amont et en aval de la filière sans être producteurs (marchands de cuves, de tracteurs, de matériel, œnologues). Dans ce cadre, nous avons monté un groupe de travail «sol vivant».

Il y a aussi le retour à la polyculture

Bien sûr, les viticulteurs cherchent en ce moment d’autres cultures pour ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Car le problème n’est pas tant le réchauffement que le changement climatique avec de plus en plus de pics et d’extrêmes. De plus gros gels, de plus grosses chaleurs, de plus grosses pluies. Une façon d’être résilient consiste à mener de front plusieurs cultures qui réagissent de manière différente au climat pour que, lors des années sans raisins, il y ait, par exemple, des pistaches. C’est la grande tendance du moment dans la région. Amandes, grenades, pistaches… Avec la recrudescence des menus végétariens, les fruits secs sont une filière d’avenir alors que c’est une culture ancestrale.

De même l’huile d’olive ?

Ancestral aussi, évidemment. Le problème c’est qu’il y a beaucoup de producteurs sur le pourtour méditerranéen. En Provence, la rentabilité est problématique, la main-d’œuvre très chère. Nous ne sommes pas concurrentiels comparés aux Italiens, aux Espagnols. Sur les huiles d’olive confidentielles avec un joli packaging, ça marche. Mais dès qu’on attaque un plus gros marché, ils sont beaucoup trop forts.

Tout ceci va donc enfin dans le sens d’une Provence viticole 100 % bio ?

Absolument. De façon très pragmatique d’une part car, la pénurie de pétrole nous obligera à réduire la chimie. Mais également parce que ce type d’agriculture va devenir la référence. Même si en ce moment, on entend dire qu’elle a du plomb dans l’aile car trop chère. Le mouvement est inéluctable. Je suis persuadée que les vins bio ne se vendront pas plus chers mais que, d’ici à 10 ans, les vins non bio se vendront difficilement. C’est ma conviction.

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