Si ce ne sont pas les exercices de sécurité qui manquent pour préparer la chaîne de commandement et de secours aux multiples dangers qui menacent la population (accident industriel, cyclone…), la simulation d’une coulée de lave hors enclos se dirigeant vers une zone habitée est une première dans le cadre du dispositif Orsec volcan. Loin d’être une fiction. Et l’évacuation brutale du Tremblet en avril 2007 est là pour nous le rappeler. Des habitants sont d’ailleurs restés longtemps marqués par ce traumatisme.
Qui s’en souvient ? En janvier 2002 le village de Bois-Blanc avait lui aussi été évacué en raison d’une forte sismicité qui laissait craindre un prolongement hors enclos de la fissure éruptive. Mais l’événement qui reste encore gravé dans la mémoire des Sainte-Rosiens fut la destruction d’une partie de Piton Sainte-Rose lors de l’éruption de 1977. Jusqu’alors le volcan n’était pas considéré comme une menace. La mémoire collective avait oublié que la lave pouvait couler en dehors de son enclos « naturel », ce qui ne s’était pas produit depuis 1800.
Une perception erronée qu’une vaste étude menée en 2012 par l’Observatoire volcanologique et l’Université sur l’aléa volcanique avait permis de modifier en remontant le fil de milliers d’années d’activité de la Fournaise. Les données collectées avaient bien confirmé la concentration de l’activité autour du cône actif situé dans l’enclos (97% des éruptions depuis 1640), mais aussi une concentration de cônes de gros volumes sur l’axe entre le Piton des Neiges et le Piton de la Fournaise (Plaine des Cafres, Plaine des Palmistes…).
> UNE CENTAINE DE LOGEMENTS DETRUITS A SAINT-PIERRE
L’existence d’éruptions datant de quelques centaines ou milliers d’années sur les pentes externes du volcan avaient ainsi été mises en évidence. Une menace pour les villes littorales « du fait des importants volumes de magma émis et de la canalisation des coulées dans les vallées ». L’étude évoquait en particulier les coulées du Piton Chisny dans la rivière Langevin il y a environ 1 200 ans ou celle du cratère Commerson dans la rivière des Remparts, il y a environ 1 900 ans. Cette dernière avait fini sa course en mer, là où se trouve Saint-Joseph aujourd’hui. La coulée des « Trous Blancs » (secteur du Nez de Bœuf), il y a environ 6 000 ans, recouvrit les secteurs actuels de la Plaine-des-Cafres, du Tampon et de Saint-Pierre…
Les conséquences seraient aujourd’hui bien différentes. En 2015, le BRGM avait étudié une quinzaine de scénarios d’éruptions hors enclos menaçant directement huit communes (Saint-Pierre, Saint-Joseph, Le Tampon, Sainte-Rose, Saint-Philippe, Petite-Île, Saint-Benoît et la Plaine-des-Palmistes), dans le but d’actualiser les plans de secours.
En croisant la densité de cônes éruptifs avec les enjeux (population, habitat…), le scénario d’une fissure éruptive qui se déclencherait dans la zone de Piton Mont-Vert, à Saint-Pierre, entrainerait par exemple la destruction d’une centaine d’habitations. Une coulée comme celle du Petit brûlé en 1708 anéantirait aujourd’hui la centrale hydroélectrique de Sainte-Rose.
En étudiant le passé, les scientifiques ont prouvé que l’activité volcanique s’étend bien sur l’ensemble du massif du Piton de la Fournaise, depuis Saint-Louis jusqu’à Saint-Benoît, et non pas uniquement dans l’enclos. Un massif qui couvre un tiers de La Réunion.
> De la lave dans la rivière Langevin
Dans l’étude de 2012, les scientifiques s’étaient basés sur 34 éruptions hors enclos exhumées du passé depuis 9 500 ans, dont 27 ont pu être datées depuis 4 500 ans. À titre de comparaison, on chiffrait à l’époque à 238 le nombre d’éruptions depuis 1600. Le résultat d’une meilleure connaissance de l’activité du volcan au fil du temps. Les traces de bon nombre d’éruptions ont disparues, emportées par d’autres. Les éruptions hors enclos sont donc plus nombreuses que ce que l’histoire récente peut nous laisser croire. La zone située en amont de la Rivière des Remparts a montré une « densité relativement forte ».
Le résultat des éruptions du Petit cratère au 16e siècle et du cratère Commerson. Autre secteur où la densité de cônes est supérieure à la moyenne : la côte sud du volcan, à l’embouchure des rivières des Remparts et Langevin. Reste une occurrence faible avec une fréquence centennale à pluri-centennale. Les dernières éruptions connues hors enclos dans le secteur Ouest du massif se situent au fond de la rivière de l’Est (Piton Rouge, il y a 90 à 140 ans) et en proximité de la falaise des Remparts (Petit Cratère en 1515). Sur les 250 à 300 éruptions dénombrées depuis le début du peuplement de la Réunion, il y a plus de 350 ans, sept seulement (soit moins de 3%) se seraient produites hors enclos. Mais il est aussi important de rappeler qu’entre 1977 et 2010, 3 événements éruptifs (1977,1986 et 1998) ont émis des coulées qui se sont propagées hors enclos et que 2 ont eu lieu à proximité des falaises nord et sud de l’enclos, en 2002 et 2007.
> Se préparer au pire
Quand aura lieu la prochaine coulée hors enclos susceptible de menacer une grande ville ? S’il est impossible de répondre, une bonne nouvelle tout de même. Si quelques minutes seulement peuvent séparer une crise sismique d’une éruption au sommet de la Fournaise, des délais beaucoup plus longs seraient en jeu en cas d’éruption à l’ouest de l’enclos. Le magma viendrait alors de plus profondément et d’autres poches que celles qui alimentent directement le sommet. Des signes précurseurs qui donneraient le temps de cibler le risque, de prévenir et d’évacuer les populations. La raison d’être du réseau de stations sismiques déployé sur toute l’île. Une leçon de la coulée de 1977 après laquelle l’Observatoire volcanologique fut justement créé. Reste le pire des scénarios : celui d’une éruption hors enclos et à basse altitude (moins de 600 m en 2007). Une bonne raison pour se préparer.
> « Ce qui s’est passé se reproduira »
Spécialiste du Piton de la Fournaise et chargé de mission volcanisme à la mairie de Sainte-Rose, Alain Bertil se réjouit de l’exercice grandeur nature qui doit être déployé ce matin avec notamment l’évacuation de l’école Maurice et Katia Krafft (tout un symbole) au Tremblet ainsi que celle de Bois-Blanc. Objectif : tester la chaîne de secours face au risque d’une double coulée de lave hors enclos. Un risque qui figure déjà au menu du plan communal de sauvegarde (PCS) des deux communes. La mairie de Sainte-Rose a d’ailleurs demandé qu’un psychologue soit présent face à l’inquiétude que cela pourrait provoquer chez des enfants mais aussi des anciens qui ont eux vécu ce scénario en 1977 à Piton Sainte-Rose. Un risque que l’exercice permet de rappeler aujourd’hui aux populations potentiellement concernées. « Ce qui s’est passé se reproduira », prévient Alain Bertil. « À l’instar de tous les pays volcaniques, il y a du sens que ce genre d’exercices se fasse ici aussi, il faut s’y préparer », juge le volcanologue et maître de conférences à l’Université, Nicolas Villeneuve. Pour motiver le plus grand nombre, les deux spécialistes précisent qu’il a été prouvé que le stockage du magma se situe à environ 15 km à la verticale de la Plaine-des-Cafres et de la Plaine-des-Palmistes et que du dégazage est mesuré par les stations de l’Observatoire sur le secteur lors des phases de réactivation. Si l’une des stations est justement située du côté de la Plaine-des-Palmistes, ce n’est pas un hasard.
P.M.
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