Laurent Binet nous a habitués à ce type d’exercice depuis HHhH paru en 2010, qui racontait l’attentat contre Heydrich, le cerveau d’Himmler. Cette fois, il nous entraîne dans Florence en 1557.
Dans la ville et ses couvents, on sent encore l’influence de l’intégrisme religieux de Savonarole, d’autant qu’à Rome, le pape Paul IV vient de l’Inquisition. Les guerres d’Italie se poursuivent et le duc de Florence, Cosme de Médicis, est en guerre contre sa cousine, la reine de France, Catherine de Médicis. Dans ce contexte explosif, on découvre le corps du peintre Pontormo, assassiné dans la chapelle San Lorenzo dont il réalisait les fresques depuis onze ans. Laurent Binet part là d’un fait largement historique car Pontormo, grand peintre maniériste dont Bronzino fut l’élève, a eu une mort restée mystérieuse et ses fresques ne furent jamais retrouvées.
Place alors à l’imagination de Laurent Binet : Giorgio Vasari, le premier historien de l’art, auteur de La vie des peintres, est chargé de l’enquête par le Duc. Vasari consulte même le « divin » Michel-Ange, 82 ans, alors en exil à Rome. Le romancier fait de Vasari un portrait très peu flatteur de courtisan.
L’affaire est d’autant plus délicate qu’on parle d’un tableau scandaleux à découvrir où Pontormo a mis la tête de la fille du Duc à la place de celle de Vénus dans un grand nu lascif.
Roman épistolaire
Laurent Binet a choisi la forme d’un roman épistolaire à la manière des Liaisons dangereuses, avec une vingtaine de protagonistes. Au-delà des premières pages, on navigue parfaitement dans ces échanges de lettres. Comme dans tout bon polar, il y a de nombreux suspects, avec chacun un mobile possible pour le crime. Cela permet à Laurent Binet d’évoquer les questions de l’époque. Celles de l’art tout d’abord avec l’invention de la perspective (d’où le titre du roman), le débat sur le nu (Michel-Ange doit couvrir ses nus de la Sixtine), la révolution du maniérisme et ses corps allongés. Mais on découvre aussi les guerres d’Italie, la vie dans les monastères et l’existence des « petits » comme le broyeur de couleurs et le tailleur de pierres, ces humbles ouvriers qui gardaient la nostalgie de la révolte qui eut lieu jadis à Florence, celle des Ciompi (les ouvriers textiles).
La lecture de Perspective(s) est un moment de plaisir garanti grâce à sa belle écriture, et dont on sort un peu plus cultivé.
Si le roman de Laurent Binet est passionnant, celui du médecin, neurologue et écrivain Antoine Sénanque est vertigineux. Dans Croix de cendre, il nous entraîne en 1367 près de Toulouse, dans le sillage de deux frères dominicains, Antonin et Robert, amis fidèles chargés par leur prieur de chercher du parchemin sur lequel le vieil homme gravera sa confession. Mais l’Inquisiteur veut s’emparer de ce texte qui pourrait menacer l’Église et est prêt à tout pour l’obtenir, y compris enfermer un des deux dominicains dans une prison étroite comme un tombeau. Tout au long du roman, l’auteur maintient le suspense sur ce que cette confession aurait d’explosif.
Comme Laurent Binet, Antoine Sénanque part d’éléments historiques et y ajoute avec une écriture très inspirée le fruit de son imagination.
Il y a, d’abord, le rappel de la Peste noire qui déferla sur l’Europe en 1348, dix-neuf ans plus tôt, décimant entre un tiers et la moitié de sa population en 6 ans, faisant 25 millions de morts. Elle déferla sur l’Europe au départ du tragique siège de Caffa en mer Noire par les Mongols de la Horde d’Or. Arrivés avec la peste, ceux-ci catapultèrent les cadavres des leurs, infestés, par-dessus les remparts. Les habitants de Caffa contaminés essaimèrent ensuite dans toute l’Europe, propageant la terrible peste.
Maître Eckhart
L’autre fait historique est la figure de Maître Eckhart, grand théologien allemand (1260-1328), enseignant à la Sorbonne, dont les sermons mystiques prônant l’union avec Dieu enflammèrent les croyants, en particulier les couvents de béguines, et eurent une influence considérable sur la pensée chrétienne même s’ils furent condamnés par l’Église d’Avignon.
La confession du prieur du monastère de Verfeil devrait faire un lien, craint l’Inquisiteur, entre la Peste noire et l’enseignement de Maître Eckhart, risquant d’ébranler les fondements mêmes de l’Église.
Comme Laurent Binet, Antoine Sénanque utilise les zones d’ombre de l’Histoire pour échafauder un polar moyenâgeux, avec une issue très surprenante.
Roman historique très inspiré, étude théologique, policier médiéval, qualité d’écriture : ce roman, lui aussi, nous fait le cadeau de nous rendre un peu plus cultivé. C’est cela, le gai savoir.
–> ★ ★ ★ Perspective(s) | Roman | Laurent Binet | Grasset, 303 pp., 21,50 €, numérique 15 €
–> ★ ★ ★ Croix de cendre | Roman | Antoine Sénanque | Grasset, 428 pp., 22,50 €, numérique 16 €
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