Rosa Parks : « M’opposer à Angela Davis, c’est peu connaître mon histoire

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Mercredi 5 juillet, le conseil régional d’Île-de-France, sous l’impulsion de sa présidente Valérie Pécresse, a débaptisé le lycée Angela Davis pour le renommer Rosa Parks. En exclusivité, nous publions une interview (posthume) de cette dernière.

Leonard Cortana est doctorant en études cinématographiques et activisme international à l’université de New York (NYU), boursier, consultant du programme des Personnes d’ascendance africaine (Nations Unies Geneve). Il a réalisé cette interview posthume de Rosa Parks pour Regards, dont l’intégralité est à paraître dans un prochain numéro de notre revue (abonnez-vous !). Au vu de l’actualité, nous en publions ici un extrait.

Regards. Votre nom est au cœur d’une polémique avec la décision de débaptiser le lycée Angela-Davis, situé en Seine-Saint-Denis, pour le remplacer par le vôtre. Les prises de position d’Angela Davis seraient trop radicales et contraires aux idéaux de la République pour un établissement scolaire. Qu’en dites-vous ?

Rosa Parks. Opposer deux femmes noires qui partagent le même combat, quelle preuve magistrale d’incompréhension des enjeux autour de l’égalité raciale ! C’est une pratique courante d’opposer des figures dites radicales à des figures moins subversives comme ce fut le cas de Martin Luther King et de Malcolm X qui pourtant à la fin de leur vie avaient bien plus en commun que ce qu’on leur concède… M’opposer à Angela Davis, c’est non seulement peu connaître mon histoire mais aussi se poser comme une autorité qui donne les bons et mauvais points de la lutte contre les discriminations. Angela Davis a signé des tribunes contre la chasse aux sorcières contre les wokistes, elle s’est exprimée contre des lois visant à retirer des droits aux femmes qui portent le foulard… Cela annule-t-il tout son travail au sein des Black Panthers, elle qui a toujours critiqué toutes les politiques qui lui semblaient injustes ? Nous ne sommes pas des activistes à la carte et si nous sommes honnêtes avec nos idéaux, nous ne devrions pas chercher à plaire pour avoir plus de succès. Je n’ai jamais pensé mon combat politique comme cela et face aux défis qui nous restent à affronter, je ne suis pas prête de m’arrêter.

« Si l’on cite mon nom dans des rues françaises, pourquoi voit-on si peu de figures noires de résistance francophones ou des anciennes colonies ? »

Rosa Parks

En France, nous entendons souvent des rappels à l’ordre de personnes qui critiquent l’influence de Black Lives Matter et « l’importation » de discours sur les questions raciales venus tout droit des États-Unis. 

L’histoire de la France et des États-Unis est bien évidemment différente. Cependant, nous partageons bien les conséquences historiques de l’esclavage et de la colonisation dans la construction de notre tissu social contemporain. J’ai toujours été choquée d’entendre des personnalités françaises sermonner les groupes antiracistes qu’il n’y avait pas eu d’esclavage en France, ce qui constituerait une différence fondamentale dans l’histoire de nos deux pays. Cherchent-ils à minimiser le rôle de la France dans le développement de la traite transatlantique ? N’oublient-ils pas que les territoires d’outre-mer sont des territoires français ? Ont-ils jamais entendu parler de Bordeaux ? Le manque de reconnaissance publique et de réparations pour les personnes victimisées par l’utilisation du pesticide de la chlordécone en Guadeloupe et Martinique en dit long sur les difficultés à faire des ponts historiques dans la lecture des injustices. Les différences de richesse, les violences policières, les stéréotypes sur les Noirs et les représentations dans les médias sont héritières de cette longue histoire d’oppression. On a tout intérêt à lire les travaux d’organisation comme Black Lives Matter, de les traduire dans d’autres contextes pour chercher des solutions. 

Voir aussi : « Fanon a su montrer comment on était passé d’un racisme biologique à un racisme culturel »

Justement, ce travail de « traduction », vous l’avez réalisé vous-même dans votre lutte contre le régime d’apartheid d’Afrique du Sud avec de nombreuses personnalités afro-américaines…

Ce que vivaient les Noirs en Afrique du Sud, nous l’avions vécu aux États-Unis. Nous sommes une diaspora et avions une responsabilité quand nos pays participaient économiquement à la prospérité du régime de Pretoria. J’ai manifesté devant l’ambassade d’Afrique du Sud la date anniversaire de mon arrestation à Montgomery pour montrer que cette histoire se répétait et qu’il fallait être solidaire avec nos sœurs et frères qui luttaient avec des actes de désobéissance civile au péril de leur vie. D’ailleurs, le refus de la France de réouvir l’enquête et les archives autour de l’assassinat de l’activiste sud-africaine Dulcie September à Paris me fait froid dans le dos. N’oublions pas quand même de célébrer les avancées. Je suis admirative aujourd’hui du travail de la diaspora afro qui fait ce travail d’éducation sur internet et complète ce qui manque cruellement dans nos livres d’histoire. Si l’on cite mon nom dans des rues françaises, pourquoi voit-on si peu de figures noires de résistance francophones ou des anciennes colonies ? J’ai découvert sur les réseaux sociaux leurs récits de vie incroyables comme celui de la mulâtresse Solitude de Guadeloupe par exemple et j’ai revu avec plaisir des images que je n’avais jamais vu de nos actions lors du boycott des transports à Montgomery. Ces archives doivent inspirer les nouvelles générations à continuer la lutte. 

En 2018, les députés à l’Assemblée nationale française ont voté à l’unanimité pour le retrait du mot race de la constitution, estimant que le terme était dessué. De nombreux groupes antiracistes ont souligné les dangers de cette révision tout en réaffirmant l’urgence de l’utilisation de statistiques ethniques pour lutter efficacement contre les discriminations. 

Voilà un autre point commun entre nos deux pays. L’universalisme en France, l’idéal colorblind aux États-Unis, sont des buts à atteindre et nous rêvons tous de voir des sociétés où la couleur de peau n’aurait pas d’incidence sur l’accès aux droits. La pandémie a montré à quel point de nombreuses personnes qui ne vivent pas les effets quotidiens du racisme dans leur chair ont pris conscience de leur privilège. Ne jamais se poser la question de savoir si l’on va avoir un contrôle de papiers ou d’avoir peur que sa couleur de peau empêche d’obtenir un travail est un privilège – même si le mot peut déplaire à certains. […] Si l’on donnait plus de place à des chercheurs et écrivains sur ces questions, on arrêterait d’attaquer de manière si violente des journalistes comme Rokhaya Diallo, des chercheuses comme Mame-Fatou Niang, des réalisatrices comme Alice Diop ou des activistes comme Assa Traoré qui sont pourtant bien héritières de mes combats. 

Pour lire cette interview posthume dans son intégralité, abonnez-vous à Regards ! (le lien est ici)

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