Plaidoyer pour une histoire mixte dans l’enseignement secondaire

, Plaidoyer pour une histoire mixte dans l’enseignement secondaire

Les sociétés européennes véhiculent toujours en leur sein une part importante de sexisme et de masculinisme. Chaque jour apporte son lot affolant de violences faites aux femmes et de discriminations qu’elles subissent. Les élèves sortant du secondaire sont-ils outillés pour décrypter ces situations et la construction des rapports entre les hommes et les femmes ? Pensent-ils comme 45 % des jeunes Français interrogés par le Haut Conseil à l’égalité, que les femmes doivent retourner à la maison pour s’occuper des enfants ?

L’histoire du genre est un levier essentiel pour comprendre les rapports de domination et leurs variations, historiciser la construction des identités féminines et masculines, et déconstruire les stéréotypes liés à la place des femmes et des hommes dans les sociétés d’hier et d’aujourd’hui. Pourtant à lire le nouveau référentiel du Tronc commun (document déterminant les contenus d’apprentissage jusqu’en 3e secondaire), l’histoire des femmes comme actrices ne commencerait qu’avec les mouvements féministes lorsque ces dernières semblent s’être enfin réveillées pour s’émanciper, dès lors tout va pour le mieux depuis, et que les inégalités persistantes finiront par s’estomper en Europe. Pareille conception téléologique de l’histoire est fausse et dangereuse à propager. Il est urgent de questionner ce que nous faisons apprendre à nos élèves afin de contrer les discours naturalisants et ahistoriques justifiant les violences et les inégalités qu’elles subissent dans les sphères privées et publiques.

Un ensemble social quasi invisible

Ce référentiel du tronc commun sera d’application en 2026 en 1re secondaire. Il fixe comme une des visées principales « la sensibilisation aux différents rapports de domination et de conflit entre les groupes sociaux sur la base de leur position sociale, de leur genre, de leur identité culturelle, de leur handicap ». Parfait ! Ce référentiel a manifestement pris conscience des enjeux sociétaux, et c’est un progrès par rapport à l’ancien socle de compétences.

Cependant, à y regarder de plus près, il semblerait que les attendus (c’est-à-dire les savoirs incontournables qui seront évalués) n’aient pas été rédigés par les mêmes personnes : aucune phrase explicite n’est réservée aux femmes. On a saupoudré quelques noms féminins, parmi ceux d’hommes plus connus. Une pratique contre laquelle les historiens et les historiennes nous mettent en garde, car elle consiste à montrer ces femmes comme des figures d’exception (dont on parle pour se donner bonne conscience), ce qui contribue à les invisibiliser comme ensemble social. Ne parler que de femmes « extraordinaires » fait croire aux élèves que les autres n’ont ou ne pouvaient rien faire. Or, les femmes ont, comme les hommes, fait histoire : elles ont dirigé, agi, produit, lutté. Leur absence des cours d’histoire n’est donc pas liée à « l’histoire » mais à la manière dont on choisit de la mettre en récit.

Cette absence dans les attendus, en contradiction flagrante avec la vision du référentiel, est d’autant plus surprenante que l’histoire des femmes et du genre est un domaine de recherche prolifique et reconnu depuis plusieurs décennies qui continue d’apporter des éclairages passionnants à la compréhension des phénomènes sociaux et historiques. Y aurait-il une déconnexion entre les rédacteurs et rédactrices des documents encadrant l’enseignement et les avancées en historiographie ? L’invisibilisation des femmes qui perdure démontre notre difficulté à abandonner un enseignement de l’histoire né au cours d’un XIXe siècle particulièrement misogyne.

Former des citoyens et citoyennes éclairé.e.s

Pour autant, rien n’est perdu. Les programmes du secondaire inférieur, qui résultent de la mise en œuvre didactique du nouveau référentiel, sont actuellement en cours de rédaction dans les différents réseaux, ainsi que le référentiel du secondaire supérieur. Pour qu’un enseignement historique de qualité soit mis en place, il est crucial que l’impulsion vienne de ces documents officiels. Les enseignants et enseignantes seraient ainsi amenés à se saisir de ces enjeux, les maisons d’édition seraient encouragées à les intégrer dans les manuels, et les formateurs et formatrices du corps enseignant seraient appelés à accompagner cette évolution.

Nous plaidons pour une histoire mixte, c’est-à-dire une histoire qui se donne pour but d’expliquer la construction des rapports sociaux et des identités, sans occulter les inégalités de « race » ni de classe, qui peuvent se superposer à celles du genre. Seule une telle histoire permettra d’atteindre les objectifs fixés par les décrets régissant l’éducation et les visées du cours d’histoire, à savoir expliquer la société actuelle grâce à l’apport de l’histoire, et former des citoyens et citoyennes éclairé·es.

Entretenir une mémoire commune

Reprenons le souhait formulé il y a déjà 10 ans par les autrices C. Marissal et E. Gubin en introduction de l’un des rares outils mis à la disposition du corps enseignant en Belgique francophone pour traiter ce sujet (Femmes et hommes dans l’histoire, un passé commun) : « Il est grand temps que l’histoire enseignée propose aux élèves une mémoire commune pour comprendre comment se sont nouées les relations entre les sexes, sur quoi elles sont fondées, comment elles ont évolué et pourquoi les acquis actuels sont précieux – mais fragiles. Il est grand temps que les filles cessent d’être orphelines de leur passé et bénéficient d’un apprentissage civique au même titre que les garçons. ». Ne pas se saisir de cette question serait un choix lourd de conséquences.

*Cosignataires : Aguirre, Sara- Personne ressource genre et diversité – ULB ; Bellal, Selma- Personne contact genre pour l’enseignement de promotion sociale ; Blanchart, Luc – Maitre assistant en histoire – HELHa ; Bolle, Francine – Historienne – ULB ; Brogniet, Jean-Michel – Didacticien des Sciences humaines, formateur d’enseignants – HELHa ; Claus, Benoit – Enseignant – HEPH Condorcet/ULB ; Clavereau, Jeny – Vice-Présidente du Conseil Général de l’Enseignement de Promotion Sociale ; Cuvelier, Thierry – Maitre assistant en histoire – HELHa ; Debrulle, Johanne – Enseignante de sciences humaines – Ecole artisanale populaire de Montigny-le-Tilleul ; De Ganck, Tommy – Historien – ULB ; Delier, Matilda – Psychologue sociale ; Deprez, Marc – Maitre assistant en sciences humaines – HELHa ; Derivière, Gaëlle – Maitre assistante – HE2B ; Detré Mauranne- enseignante en sciences humaines en secondaire et maitre assistante en histoire – HEFF ; Devos, Anne – Enseignante en sciences humaines à l’athénée de Chênee et Liège Atlas ; Dezwaene, Arnaud – Maitre assistant en histoire – HE2B ; Di Paolo- Laura, enseignante dans le secondaire ; Duchesne Sandrine – Maitre assistante et personne contact genre- Haute école Albert Jacquard ; Duriau, Nicolas – Chargé de cours, ULB ; Estoret, Delphine – Directrice EAFC Hauts-Pays, WBE, membre de la COGES ; Garcia, Sophie – Enseignante- Collège Saint-Louis, Liège ; Gérard, Delphine- Cheffe de projets – WBE ; Groentenclaes- Enseignante – Don Bosco Verviers ; Hennay, Sandra- Maitre assistante en histoire – HERS ; Henriet, Benoît – Professeur d’histoire contemporaine – VUB ; Hocepied, Nora – Maitre assistante – HE2B ; Jacquot, Sophie- Professeur – UCLouvain/ Institute for European Studies / CreSPo ; Kaison, Pascale – Enseignante – HELMo Sainte Croix ; Landmeters, Romain – Historien – CARHOP et UCLouvain Saint-Louis ; Lasserre, Audrey – Chercheuse FED-tWIN et chargée d’enseignement (UCLouvain/ MRBAB) ; Leclercq, Coline- Personne Contact Genre – UNamur ; Lorent, Thomas – Enseignant – Collège Saint-Michel Gosselies ; Lisart, Anne – Enseignante en histoire – HELHa ; Marissal, Claudine – Professeur d’histoire – HELHa / ULB ; Martinus Claire- Chargée de cours- UMONS ; Masson, Nicolas – Enseignant en histoire- Institut de l’Enfant-Jésus Nivelles ; Michel Delphine – Conseil des Femmes Francophones de Belgique ; Morelli, Anne – Historienne – ULB ; Moreno, Maria – Référente genre à l’ARES ; Neirynck, Jacques- Chargé de cours- HELHa ; Nguyen, Anh Thy – romaniste et historienne – Conseillère scientifique chez SynHERA ; Nucci, Alice – Chargée de projet à l’Université des femmes ; Paternotte, David – Professeur de sociologie – ULB ; Perini – Enseignante de sciences humaines- Don Bosco Huy ; Piette, Valérie – Historienne – ULB ; Plateau, Nadine – SOPHIA ; Rolin, Françoise – Documentaliste -HELHa ; Rosier, Laurence – Professeur- ULB ; Staszewski, Michel – Professeur d’histoire retraité ; Thiry, Michel- Maitre assistant en histoire- HELMO ; Vaccaro, Rosa, Chargé de mission ; Van den Dungen, Pierre- Historien- ULB ; Vanderpelen-Diagre, Cécile – Historienne – ULB / CARHIF ; Vincent, Laurence – Référente genre à l’ARES.

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