Réouverture d’une salle historique: Ses «cicatrices» refermées, le Capitole peut revivre


Ses «cicatrices» refermées, le Capitole peut revivre

La grande salle du Capitole – baptisée Freddy Buache – et ses désormais 866 sièges, qui peuvent tous être «achetés» pour soutenir la Fondation de la Cinémathèque suisse.

Deux semaines avant les journées d’inauguration, les portes du nouveau temple du cinéma lausannois se sont ouvertes une première fois. Le Capitole peut à nouveau exhiber ses fastes vintage, retrouver sa lustrerie fifties, sa moquette bleue, ses rougeurs de velours, ses habillages mordorés… et ses sanitaires des années 20. Grâce aux géotechniciens, les murs mythiques ne se sont pas écroulés lors de l’excavation acrobatique d’une seconde salle sous la première, lorsqu’il fallut passer les machines par l’étroite impasse qui longe la façade nord-sud estampillée 1928.

Des salles dont on a appris les noms de baptême: Freddy Buache pour l’historique, Lucienne Schnegg pour la nouvelle. L’âme de la Cinémathèque et celle du Capitole hantent désormais, pour le meilleur, ces lieux qui témoignent des années 50, mais aussi des années 20 – celles du siècle dernier comme les nôtres. Interview de Marion Zahnd, architecte responsable du projet, qui revient sur un défi patrimonial à la gloire du cinéma.

L'architecte principale, Marion Zahnd d'Architecum (en orange), sa cheffe de projet Katja Rapold Méry et Fabio Morais, architecte, dans une extension du bâtiment des années 20 – du 3e millénaire!

Au début d’un projet tel que celui du Capitole, quelle était votre marge de manœuvre?

Notre bureau travaille presque exclusivement dans le patrimoine. C’est important à rappeler parce que cela implique une attitude un peu différente: il est clair qu’en termes de marge de manœuvre on a énormément de contraintes. Notre objectif est d’abord de conserver un patrimoine. À partir de là, on essaie d’ajouter des interventions pour lui donner une seconde vie. Souvent, il s’agit de bâtiments qui arrivent en fin de course, surtout au niveau technique. Tout l’enjeu est dans ce dialogue entre une préservation du passé et un usage futur.

Comment aborde-t-on un bâtiment historique?

Il y a souvent des plans, parfois on a un rapport historique, parfois non, parfois on a un corpus très riche de photographies et parfois on n’a presque aucun témoignage. Mais c’est sur place, en analysant tous les détails, que l’on découvre beaucoup de choses, notamment comment il a évolué dans le temps. Dans le cas du Capitole, ce qui est particulier c’est que le bâtiment a déjà deux vies, deux époques superposées. Il y a l’héritage de son système constructif de 1928, puis, comme le disait l’architecte de l’époque, il a été «redécoré» dans les années 50, surtout en 59. On a donc déjà deux strates, mais l’on savait très peu de choses sur son évolution à partir des années 50.

L’entrée du cinéma – où se trouveront la billetterie et un bar – distribuant sur le balcon, la boutique à l’étage, un petit salon et, par les escaliers, au foyer du rez-de-chaussée.

Comment défriche-t-on ces zones d’ombre?

Certaines découvertes se font au fur et à mesure de l’avancement des études, d’autres pendant le chantier. Au Capitole, on savait uniquement que les moquettes et les fauteuils avaient été changés dans les années 80, mais plus vous entrez dans les recoins d’un bâtiment, plus vous percevez de cicatrices, de transformations. Ce bâtiment vit pour nous depuis bientôt 100 ans, cela ne passe pas inaperçu. Les nouvelles découvertes alimentent le projet, le remettent aussi en question. C’est un aller-retour constant pour calibrer notre intervention au plus juste.

Le foyer et ses lustres de Murano où Lucienne Schnegg vendait des glaces – même les vieux frigos semblent avoir été préservés!

La décision de départ, c’est de retrouver l’esprit de la rénovation de 1959?

Exact, celui de Gérald Pauchard, l’architecte qui réalise la décoration des foyers et de la grande salle. Même si celle de 51, qui reconfigurait un l’angle nord-ouest avec les portes d’accès et un nouvel escalier, indiquait déjà que, dès le début, il y avait besoin d’intervenir dans cette zone que nous avons aussi retravaillée. Mais si les interventions des années 50 avaient été moins bonnes, ça aurait pu remettre en cause la démarche. Au final, les espaces des années 20 accessibles au public se réduisent aux sanitaires, mais avec tout l’héritage et les finitions de l’époque. On a aussi retrouvé la partie des loges – dans les années 20, le cinéma muet nécessitait des musiciens – qui avait été coupée en 59. Donc il y a aussi une rénovation de l’héritage des années 20.

Les sanitaires des femmes, partie emblématique de l’aménagement de 1928.

Il n’y a pas eu trop de tractations avec la Division monuments et sites du Canton, en charge du patrimoine bâti?

Nous ne ferions pas ce genre de projets si cette question était problématique. L’attitude de base est d’aller dans le sens de la conservation maximale de la substance. Cela nous parle, c’est notre passion. Nous ne cherchons pas à nous imposer dans ces espaces, mais à leur redonner leur qualité d’origine et à intervenir ensuite de la manière la plus respectueuse.

Il y a tout de même eu des discussions?

La question fondamentale était de savoir ce qu’on pouvait se permettre sur un monument historique non classé – il est à l’inventaire, recensé en note 2 – qui mérite une protection importante. Est-ce qu’on pouvait se permettre de créer une seconde salle en sachant que l’intervention allait être lourde? Il n’y avait pas d’unanimité.

La nouvelle salle, du nom de l’infatigable ancienne propriétaire des lieux Lucienne Schnegg, enfouie sous la première.

Mais le cinéma a gagné?

Ce qui a emporté la décision c’est que le Capitole est une salle de cinéma historique qui va garder sa vocation première. Sa pérennité est assurée par le fait que la Cinémathèque suisse va l’exploiter – un privé ne le pourrait plus – et qu’elle avait besoin de cette deuxième salle pour assurer son fonctionnement. Il y a là une pondération entre conservation absolue et respect de son affectation première, dans l’idée qu’il ne soit pas tout à coup transformé en n’importe quoi comme on le voit si souvent avec la disparition des cinémas historiques des centres-villes.

Du côté des «détails», il y a aussi tout ce qui touche à l’aménagement intérieur?

Il y a toujours une part d’interprétation et d’analyse. Les restaurateurs grattent des couches et identifient des étapes. Mais les espaces historiques étaient clairement identifiés. On a pu retrouver les années 50 et toutes leurs qualités avec, finalement, la redécouverte d’un vestige de moquette – bleue – dans le cadre de scène qui nous a permis de restituer la palette chromatique. C’était clair, mais pas forcément simple. Dans la grande salle, par exemple, c’est la première fois que nous avons été confrontés à une restauration textile de cette envergure. Ce sont des métiers qui ont l’habitude de travailler sur quelques mètres carrés, pas sur des surfaces pareilles, donc il faut trouver des restaurateurs capables de mener cette tâche à bien.

Les luminaires de la grande salle Freddy Buache et les fameuses tentures dorées.

Il y a aussi toute la technologie contemporaine à introduire dans un bâtiment du passé?

En effet et c’est toujours un grand défi. Il faut accepter qu’il y a des limites de faisabilité dans un cadre patrimonial. Il faut trouver des solutions sur mesure tant dans la remise en forme énergétique que sécuritaire. Cela concerne aussi bien les techniques du bâtiment que cinématographiques. Dans l’histoire de la salle, il y a eu constamment des améliorations de son, d’image. Mais là aussi, il y a des limites. Dans une nouvelle salle de cette taille, il y aurait la possibilité d’installer un système audio Atmos qui arrose depuis le plafond. Mais, au Capitole, cela aurait été contraire à la conservation patrimoniale, donc on aura un système sonore et visuel performant, mais pas Atmos. Dans la petite salle, on assume, c’est une salle contemporaine, mais dans la grande, l’objectif est de ne pas se sentir inondé de technique et de préserver une perception proche de celle que l’on pouvait avoir en 1959.

Lausanne, Capitole, portes ouvertes les sa 24 (10h-17h; 20h, projection de «2001: A Space Odyssey» de Stanley Kubrick en 70 mm) et di 25 février (10h-15h; 17h, projection de «Le Grand Blond avec une chaussure noire» d’Yves Robert). www.cinematheque.ch

La lustrerie des années 1950, un œil ou une planète, qui ne sont pas sans rappeler les globes suspendus récemment dans l’impasse du Capitole par l’artiste Gina Proenza.

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