La découverte récente d’un crâne fossilisé de dauphin dans l’Amazonie péruvienne marque une étape significative dans notre compréhension de l’histoire évolutive des mammifères aquatiques. Ce spécimen, identifié comme appartenant à une nouvelle espèce nommée Pebanista yacuruna, révèle l’existence du plus grand dauphin d’eau douce connu à ce jour, ayant vécu il y a environ 16,5 millions d’années.
Cette trouvaille, réalisée par une équipe internationale de chercheurs dirigée par Aldo Benites-Palomino de l’Université de Zurich, a été publiée dans la revue Science Advances. Elle éclaire non seulement les mécanismes d’adaptation et d’extinction des dauphins préhistoriques, mais soulève également des questions sur les liens évolutifs entre les dauphins d’eau douce actuels d’Asie du Sud et leurs ancêtres disparus.
Un dauphin géant préhistorique révélé
La découverte de Pebanista yacuruna résulte de la trouvaille d’un crâne fossilisé près du fleuve Napo à Loreto, Pérou. En 2018, une équipe de paléontologues a mis au jour ce spécimen remarquable. Le dauphin géant découvert appartient à la famille des Platanistoidea. Il mesurait entre 3 et 3,5 mètres.
Comparaison de taille de différents dauphins de rivière. Pebanista yacuruna (en haut à gauche) est la plus grande par rapport aux quatre autres espèces principales. © Aldo Benites-Palomino et al., 2024
Il s’agit des mammifères marins qui dominaient les océans il y a entre 24 et 16 millions d’années. Cette famille est connue pour avoir inclus certaines des plus grandes espèces de dauphins, témoignant ainsi d’une diversité et d’une adaptation remarquables à différents environnements aquatiques à travers les âges géologiques.
Adaptation et extinction de ce nouveau dauphin
L’étude du fossile démontre que cette espèce de dauphin géant s’était adaptée à un mode de vie en eau douce. Cette transition semble dictée par les profonds changements environnementaux survenus dans l’Amazonie préhistorique.
À l’époque où ce dauphin parcourait ces eaux, l’Amazonie n’était pas le fleuve puissant que nous connaissons aujourd’hui. L’auteur principal Aldo Benites-Palomino de l’UZH explique dans un communiqué : « Une grande partie de la plaine amazonienne était couverte par un vaste système de lacs et de marécages appelé Pebas ». Ce paysage comprenait des écosystèmes aquatiques, semi-aquatiques et terrestres (marécages, plaines inondables, etc.). Il s’étendait sur ce qui est aujourd’hui la Colombie, l’Équateur, la Bolivie, le Pérou et le Brésil.
De fait, ce réseau offrait une diversité biologique riche, notamment une abondance de proies pour les prédateurs comme Pebanista. Cette configuration écologique unique a alors permis à de nouvelles espèces de prospérer. Elle a également encouragé des adaptations évolutives spécifiques, comme celles observées chez ce dauphin géant.
Toutefois, le paysage de l’Amazonie a subi une transformation radicale il y a environ 10 millions d’années. Il a évolué vers sa configuration actuelle de fleuve s’écoulant vers l’Atlantique. Des modifications significatives dans la distribution des habitats aquatiques et terrestres se sont opérées.
La disponibilité des ressources alimentaires a changé. Pour notre dauphin, ces changements ont signifié la réduction, voire la disparition, des proies dont il dépendait pour sa survie. Sans source de nourriture adéquates, et peut-être confronté à de nouveaux défis écologiques et à la concurrence d’autres espèces, Pebanista n’a pas pu s’adapter à ce nouvel environnement. Cette période de bouleversements écologiques a finalement conduit à son extinction.
Voilà un exemple poignant de la façon dont les changements environnementaux influencent la biodiversité et le destin évolutif des espèces.
Une lignée méconnue chez les dauphins
La découverte du Pebanista yacuruna apporte des informations précieuses sur l’arbre généalogique complexe des dauphins d’eau douce. Elle remet en question certaines hypothèses précédemment établies sur leurs origines et leurs migrations. Jusqu’à présent, la communauté scientifique supposait une proximité évolutive plus marquée entre les dauphins actuels de l’Amazonie et les espèces fossiles trouvées dans cette même région.
Cependant, les récentes analyses phylogénétiques révèlent une connexion avec les dauphins des rivières d’Asie du Sud, notamment celui du Gange. Un nouveau scénario évolutif émerge. Les ancêtres communs des dauphins d’eau douce ont migré et se sont diversifiés dans des habitats fluviaux à travers le monde bien plus tôt qu’on ne le pensait. Ils ont adapté leurs caractéristiques physiologiques et comportementales à des environnements d’eau douce variés.
Cette parenté inattendue ouvre de nouvelles perspectives sur la dynamique des migrations et de l’adaptation des espèces de dauphins à travers les âges. Elle indique que les lignées de dauphins d’eau douce ont traversé d’immenses distances, franchissant des barrières océaniques pour exploiter les niches écologiques offertes par les grands systèmes fluviaux du monde.
La colonisation et l’adaptation à divers milieux révèlent la résilience et la plasticité évolutive des dauphins face aux changements. Elle souligne l’importance des corridors fluviaux pour la migration et la dispersion des espèces dans les écosystèmes aquatiques.
Implications pour la conservation des dauphins actuels
La découverte met en évidence la complexité des interactions entre migration, adaptation et évolution dans le monde naturel. Pebanista sert de rappel poignant sur la fragilité des écosystèmes fluviaux et la vulnérabilité des espèces y résidant. C’est notamment le cas des dauphins d’eau douce actuels.
Ces mammifères sont menacés par le développement urbain, la pollution aquatique et l’exploitation minière, aggravant leur situation. Leur situation précaire reproduit celle qui a conduit à l’extinction du dauphin géant d’Amazonie.
Spécimen type (holotype) de Pebanista yacuruna, comprenant une photo du spécimen et un modèle 3D de surface en vue dorsale. © Aldo Benites-Palomino
Révélant les adaptations et l’évolution des dauphins préhistoriques, les chercheurs visent à sensibiliser sur la protection des habitats fluviaux. Cette sensibilisation est cruciale pour élaborer des stratégies de conservation efficaces. Elles doivent tenir compte des besoins spécifiques des dauphins d’eau douce. Le but est d’éviter que l’histoire ne se répète et que ces espèces ne suivent le chemin de leurs ancêtres vers l’extinction.
Source : Aldo Benites-Palomino et al., “The largest freshwater odontocete: A South Asian river dolphin relative from the proto-Amazonia”, Sci. Adv.10,eadk6320(2024).DOI:10.1126/sciadv.adk6320
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