Stress hydrique: Tout au long de son histoire, la Tunisie a su s’y adapter

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Au commencement, cette lapalissade : depuis que le monde est monde, la Tunisie a toujours été un pays aride. Les superficies semi-arides et sahariennes couvrent plus des deux tiers de son territoire. La moyenne annuelle des précipitations est estimée à 250 mm, avec de fortes variations du nord au sud, allant de 700 mm à 100 mm.

La pluviométrie est irrégulière et dépend des années. Jusqu’à une récente date, c’est-à-dire avant l’exacerbation du réchauffement climatique, sur une période de trois ans, une année est excédentaire. De nos jours, sur cinq ans, une seule année est jugée pluvieuse et conforme à la moyenne annuelle.

Les Tunisiens ont été constamment inventifs

Face à cette situation de pénurie structurelle, les Tunisiens, pour satisfaire leurs besoins en eau, ont toujours été innovants. Est-il besoin de rappeler ici deux des grands ouvrages hydrauliques à l’actif des Tunisiens, en l’occurrence l’aqueduc de Zaghouan, ou aqueduc de Carthage. Cet aqueduc, construit sur une longueur totale de plus de 100 km, du temps de l’empereur romain Hadrien en l’an 123, était considéré à l’époque comme une merveille de l’humanité et un exploit architectural similaire actuellement aux plus grands ouvrages routiers et ferroviaires dans le monde. Nous pouvons citer également les bassins des Aghlabides de Kairouan. Ces ouvrages hydrauliques, encore visibles de nos jours, sont considérés comme les plus importants ouvrages hydrauliques de l’histoire du monde musulman.

Cela pour dire que l’ampleur, l’esthétique et l’ingéniosité de ces réalisations ont de tout temps forcé l’admiration des étrangers qui visitent la Tunisie.

L’apport des barrages

Après l’accès du pays à l’indépendance en 1956 et face à la croissance démographique (une moyenne de 25 000 nouveau-nés par an), les Tunisiens ont pu également subvenir aux besoins multiformes du pays en eau : eau potable, cultures irriguées, industrie, tourisme … Ils ont eu le mérite de construire depuis les années soixante une quarantaine de barrages (2,9 milliard de m3), ce qui a permis d’améliorer leur quotidien, toutes catégories confondues, même si certaines zones reculées du pays continuent à souffrir de pénurie d’eau.

Au nombre des réalisations postindépendance, figure en bonne place le canal Medjerda, mis en exploitation au début des années 80. Cet ouvrage hydraulique permet de transporter, annuellement, 470 millions de mètres cubes d’eau provenant des plus grands barrages du nord du pays (Sidi Salem, Joumine, Sejnene et Sidi Barrek).

Pour saisir l’ampleur de l’utilité de cet ouvrage, le canal fournit de l’eau pour subvenir aux besoins en eau potable des villes de Tunis, du Cap Bon, du Sahel et de Sfax. Ses eaux sont également utilisées pour irriguer les zones agricoles d’El Mghira, Mornag et du Cap Bon et pour recharger les nappes de Khlidia et du Cap Bon.

La mal gouvernance est passée par là

Cet effort a été entaché, néanmoins, par la mal gouvernance du secteur de l’eau et ses corollaires : l’absence de maintenance des réseaux, la surexploitation des nappes souterraines et le gaspillage d’eau.

S’agissant des pertes, selon des statistiques officielles, sur un bilan global de 37 milliards de mètres cubes (Mds m3) de précipitations enregistrées chaque année, environ 8,5 Mds de m3/an ne sont pas récupérés par l’effet de l’évaporation et du ruissellement.

Concernant la surexploitation des eaux souterraines (3,745 milliards m3), les nappes phréatiques (914 Mm3) sont exploitées au taux de 118,7%, les nappes profondes (1922 Mm3) sont exploitées au taux de 134,3% et les nappes profondes non renouvelables ( fossiles : 909 Mm3) sont exploités au taux de 130,2%. A l’origine de cette surexploitaion, l’universitaire et experte en eau Raoudha Gafrej a pointé du doigt les forages anarchiques, quelque 21 290 dont 10 mille dans la seule région de Kebili (chiffres de 2020) et les lobbys des cultures irriguées à haute valeur marchande à l’export (produits de terroir, primeurs…).

A titre indicatif, « une datte produite par un palmier dattier irrigué nécessite à elle seule 50 litres d’eau », a-t-elle dit. Au rayon des pertes générées par la vétusté du réseau de la SONEDE, elles sont estimées, à titre indicatif pour le cas du Grand Tunis, à l’équivalent du volume d’eau retenu par un barrage moyen en temps normal (50 Mm 3).

Le réchauffement climatique a aggravé la situation

Les conséquences de cette mauvaise gouvernance du secteur de l’eau ont été exacerbées par le réchauffement climatique. La Tunisie, pays méditerranéen aux 1300 kms de côtes environ, est sérieusement exposée aux impacts du dérèglement climatique, pour peu que les températures augmentent de 1,1 degré Celsius d’ici 2030.

Plus simplement, si rien n’est fait d’ici là, le climat qui prévaut actuellement à Gabès (sud de la Tunis) sera le même qu’à Tunis (nord-est du pays) .

« Concrètement, d’après Raoudha Gafrej, l’impact du réchauffement climatique sera perceptible à travers une baisse de 28% des ressources en eaux en 2030, une diminution de 50% des eaux de surface, une diminution du PIB agricole de 22,5% et non des moindres, une réduction de la production agricole de 52%, en raison de l’intensité et de la succession des années de sécheresse.

Les impacts des changements climatiques se feront sentir également à travers l’augmentation de la salinité des sols, la surexploitation des terres et des pâturages, la baisse de la fertilité des terres, ce qui générerait des risques sur les exportations et mènerait à un «forçage économique sur l’agriculture ».

Conséquence : « C’est l’agriculture, secteur stratégique en Tunisie, qui payera la facture la plus chère si rien n’est fait pour s’adapter à ce phénomène et atténuer son impact à travers des actions à court, moyen et long terme », a-t-elle estimé.

Gérer le hasard des aléas climatiques

Au rayon des panacées proposées pour l’atténuer, le défunt Ameur Horchani, surnommé aussi « le père des barrages tunisiens » avait déclaré de son vivant que l’accent doit être mis, dorénavant, sur une gestion intégrée de ce qu’il appelle « le hasard des aléas climatiques»(inondations et sécheresses) par une bonne maîtrise des données de la météorologie.

Concrètement, il s’agit d’une course contre la montre consistant à stocker au maximum les eaux des crues (construction de barrages de rétention) et à les économiser au maximum lors des périodes de sécheresse.

Pour renforcer et diversifier les ressources disponibles, il propose, à la faveur de l’application de normes strictes, le recyclage des eaux usées dans l’agriculture, la recharge artificielle des nappes souterraines et la mise en place d’une stratégie d’économie d’eau et de lutte contre le gaspillage.

Officiellement, l’actuel gouvernement est non seulement conscient de la situation, mais il a également mis la main dans la poche pour investir dans le secteur de l’eau. D’après Ridha Gabouj secrétaire d’État auprès du ministre de l’Agriculture, chargé des ressources hydrauliques, « près de 12 milliards de dinars ont été mobilisés pour la réalisation des mégaprojets actuellement en cours d’exécution, dans le secteur agricole, précisant que 70% de ces ressources sont destinées au secteur de l’eau.

Dans le détail, au début du mois d’avril 2024, le responsable a évoqué des projets de mobilisation de ressources non conventionnelles. Il s‘agit de projets de stations de dessalement d’eau de mer, dont les travaux de réalisation avancent, selon lui, à un rythme accéléré. A cet effet, il a indiqué que la station Zarat (d’une capacité de 50 mille m3 par an) entrera en exploitation prochainement pour alléger la pression de la demande sur l’eau potable, aux niveaux des gouvernorats de Gabès, Tataouine et Médenine, faisant remarquer que la station de Sfax, dont la capacité de production s’élève à 100 mille m3 par an, devra entrer en production au mois de juin 2024 et celle de Sousse ( 50 mille m3 par an ), au début de l’année prochaine.

Au plan des ressources conventionnelles, toujours d’après M. Gabouj, la Tunisie œuvre actuellement à la réalisation de 4 barrages, dont certains devront être achevés bientôt, tels que le barrage Mellègue (avancement des travaux à 80%) et le barrage Douimis (Bizerte), en plus de l’avancement des travaux de construction d’autres principaux barrages, dont les barrages Saida et Kalâa Kebira (Sousse), ainsi que les travaux de raccordement entre eux. Il s’agit également du lancement des travaux de construction des barrages Khalled (gouvernorat de Béja) et Raghai, a-t-il ajouté.

La Tunisie se dote de stratégies prometteuses sur le long terme

Par-delà ces mesures de court et moyen terme, le gouvernement tunisien a mis au point une stratégie pour développer le secteur de l’eau à l’horizon 2050. Dénommée « Eau 2050, cette stratégie s’articule autour de plusieurs axes, dont la concrétisation du droit de tous à une eau potable sécurisée et de qualité des ressources de l’Extrême-nord-ouest et la modernisation des infrastructures et des équipements.

Point d’orgue de cette stratégie : l’équité en matière de répartition en eau potable pour les populations rurales, où qu’elles se trouvent, constitue un pilier refondateur « d’Eau 2050 ».

Parallèlement à cette stratégie « Eau 2050 », des chercheurs ont proposé des stratégies fort intéressantes. C’est le cas de la vision que Ali M’hiri, ancien professeur à l’Institut national agronomique de Tunisie (INAT) a développée dans son ouvrage « l’agriculture tunisienne à la croisée des chemins, quelle vision pour une agriculture durable? ». Mention spéciale pour ses propositions concernant l’injection de compléments d’eau pour transcender le stress hydrique. Il s’agit d’apporter, selon le degré de vulnérabilité de ce qu’il appelle « les écorégions » du pays, du sud au nord, des compléments hydriques à travers une bonne exploitation des eaux verte (pluviale), bleue (dessalée) et grise (usée traitée).

L’objectif étant d’augmenter et de stabiliser les rendements, et de rendre toutes les années de bonnes années agricoles, au sens local, pour les cultures pluviales. Ainsi, parmi les scénarios possibles envisagés, le Tunisien pourrait, un jour, consommer régulièrement de l’huile d’olive et se passer de l’huile de soja importée.

Par Khemaies Krimi

Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 893 du 24 avril au 8 mai 2024. 

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