Avec «Eldorado : Le cabaret honni des Nazis», Netflix fait renaître la scène queer berlinoise que l’histoire avait oubliée

La ville de Berlin a célébré la fierté de sa communauté LGBTQ+ avec l’énorme évènement de la marche des fiertés Christopher Street Day (CSD), le week-end dernier. 90 ans après la montée au pouvoir des Nazis, la fête populaire a pris place dans une capitale allemande dont l’âme a bel et bien changé depuis ses jours sombres : aujourd’hui, elle est libre, ouverte et infiniment plus tolérante, mais aussi décidée à ne pas oublier les atrocités du passé. Afin de confronter cette période difficile, et de reconstituer les histoires de la communauté queer berlinoise qui ont pendant si longtemps été effacées, les réalisateurs Benjamin Cantu et Matt Lambert se sont associés pour produire Eldorado : le cabaret honni des Nazis, un documentaire qui sort de l’ordinaire.

MJ Harper dans une scène d'Eldorado.

MJ Harper dans une scène d’Eldorado.

Vincent Wechselberger
Rcration de scène de fête à l'Eldorado.

Récréation de scène de fête à l’Eldorado.

Vincent Wechselberger

Fin des années 1920, dans un bâtiment art-déco au coin de la Motzstrasse, dans le quartier berlinois de Schöneberg, les boissons coulent à flots, les paillettes éblouissent, les plumes et les couleurs font vibrer l’atmosphère, la musique jazz enflamme la piste de danse : bienvenue à l’Eldorado. Derrière ses portes au-dessus desquelles figure la phrase emblématique et rassurante Hier ist’s richtig (« Ici, c’est juste ») se retrouvent gays, lesbiennes, hommes et femmes trans, drag queens et kings et tous autres divers membres de la communauté queer, toutes les magnifiques couleurs de l’arc-en-ciel.

L’Eldorado, un lieu privilégié pour briser les tabous et profiter d’une liberté sans limites

Bien que son nom existe à Berlin depuis 1848, l’Eldorado changera plusieurs fois d’adresse et de propriétaires; c’est dans les années 1920, pendant la période du gouvernement de Weimar, que le lieu s’impose réellement en tant que coeur battant de la communauté queer berlinoise. Étroitement lié au célèbre Institut de sexologie de Magnus Hirschfeld, d’où proviennent une grande partie de nos connaissances actuelles sur les complexités du genre humain et de la sexualité, l’Eldorado est un lieu privilégié pour briser les tabous et profiter d’une liberté sans limites.

Des activistes trans devant l'Institut de sexologie de Magnus Hirschfeld sur une image issue du documentaire Eldorado.

Des activistes trans devant l’Institut de sexologie de Magnus Hirschfeld, sur une image issue du documentaire Eldorado.

Willy Römer

Parmi ses habitués, on retrouve notamment le joueur de tennis Gottfried von Cramm (champion de Roland Garros en 1934 et 1936) et son amant, l’acteur Manasse Herbst, le couple d’artistes trans Charlotte Charlaque et Toni Ebel, mais aussi des haut-gradés du parti national-socialiste tels que Ernst Röhm, fondateur de la division paramilitaire SA, et son associé Karl Ernst : l’hypocrisie au coeur du parti nazi est totale. Pour Heinrich Himmler, homophobe-en-chef du parti nazi, l’homosexualité est une impureté qui doit être éradiquée, et Röhm et Ernst finiront par être victimes de sa doctrine.

Pour une période historique si mouvementée, il était difficile de trouver la manière la plus efficace de faire passer un message, surtout lorsqu’il s’agit de l’histoire queer. « Nous avions tous une envie si forte de voir l’histoire queer représentée avec élégance et dignité, et en Netflix, nous avons trouvé le partenaire parfait pour ce projet », explique Benjamin Cantu. Mélangeant narration contemporaine avec des scènes reconstituant l’époque, le film réussit à amplifier la charge émotionnelle de son message. « Notre objectif était de produire un documentaire qui soit axé sur de vraies personnalités, et engageant émotionnellement, nous ne voulions pas créer un simple cours d’histoire », continue-t-il.

Une fois la structure du film définie, il était temps de choisir une direction visuelle. « Avec notre costumière Larissa Bechtold, nous avons tenté de trouver un équilibre entre l’esthétique classique de l’époque et un style plus décontracté qui représente la liberté d’expression des personnages queer, raconte Matt Lambert. Je voulais apporter une tendresse et une spontanéité, casser ce formalisme qui est si souvent associé à cette époque, et vivre dans les scènes comme si nous étions vraiment là. Notre langage lumineux vient du cinéma expressionniste, mais avec une touche délicate plus romantique et impressionniste », précise-t-il. Le résultat est un Eldorado sorti des cendres, présenté comme idylle aux côtés des récits importants et touchants des membres de sa communauté.

Avec «Eldorado Le cabaret honni des Nazis» Netflix fait renaître la scène queer berlinoise que lhistoire avait oublie
Avec «Eldorado Le cabaret honni des Nazis» Netflix fait renaître la scène queer berlinoise que lhistoire avait oublie

Le film se focalise sur l’Eldorado pendant les années précédant la guerre, mais son histoire ne se termine pas là – malgré la fermeture forcée du cabaret par les Nazis en 1932, en 1971, le bâtiment accueillera la première organisation LGBTQ+ allemande de l’après-guerre, la HAW (Homosexuelle Aktion West Berlin). Ce détail est un parmi d’innombrables qui font la richesse de l’histoire queer berlinoise – une richesse qui devrait être promue et soulignée davantage, selon Benjamin Cantu. « C’est étrange pour moi, je ne comprends pas pourquoi notre Pride à Berlin s’appelle “Christopher Street Day” (en référence aux manifestations à New York en 1969), quand nous avons tant d’histoire queer ici », regrette-t-il.

La persécution des personnes LGBTQ+ en Allemagne n’a pas cessé à la fin de la guerre

Eren Güvercin incarne Manasse Herbst.

Eren Güvercin incarne Manasse Herbst.

Vincent Wechselberger

Pour Eren Güvercin, jeune acteur berlinois qui incarne le rôle de Manasse Herbst, l’importance du film ne peut être sous-estimée. « J’ai été choqué en découvrant la quantité de connaissances [sur l’histoire queer] qui ont été effacées du curriculum scolaire allemand. Nous avons encore un long chemin à faire », déplore-t-il. En effet, la persécution des personnes LGBTQ+ en Allemagne n’a pas cessé à la fin de la guerre, loin de là. La loi interdisant les relations homosexuelles (Paragraphe 175), introduite par le gouvernement impérial prusse en 1871 et étendue par le gouvernement nazi en 1935, n’a été abrogée qu’en 1994, après la réunification allemande. « Raconter les histoires des personnes queer en Allemagne nazie est crucial, […] cela nous rappelle qu’il faut se battre pour préserver les droits de l’Homme, promouvoir l’inclusivité et combattre la discrimination », souligne Güvercin.

Benjamin Cantu rappelle aussi l’urgence de la cause, en notant qu’il est « alarmant de voir les parallèles entre la perte des droits des personnes queer en Allemagne il y a cent ans et les attaques contre les personnes queer et trans aujourd’hui dans beaucoup de pays ». La soi-disante « guerre de culture » menée par l’extrême droite a en effet pris la communauté queer pour cible. « Les hommes politiques tels que Putin, Orbán ou DeSantis le font maintenant, note Benjamin Cantu. Ce film est un rappel qu’il ne faut surtout pas tenir nos progrès démocratiques et droits individuels pour acquis. »

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