Bordeaux : Des archives du Moyen-Âge « jamais vues du grand public » réunies dans une expo sur l’histoire des villes

Les amateurs d’histoire, de vieux livres et parchemins, de calligraphie et d’enluminure, vont en tomber à la renverse. Les archives départementales de la Gironde proposent depuis mercredi une exposition consacrée aux villes de Gironde au Moyen-Âge, qui réunit une série de documents tous plus exceptionnels les uns que les autres.

Dénichés dans les fonds communaux de villes comme Blaye, Saint-Emilion, Saint-Macaire, La Réole, après un travail de recherche minutieux de la part du service des archives départementales, ces textes et parchemins écrits en latin, gascon ou vieux français, « n’avaient pour la plupart jamais été vus du grand public » souligne Agnès Vatican, directrice des archives départementales. Son équipe a ensuite réalisé un travail remarquable de restauration de ces documents, puis de transcription et de traduction en vue de cette exposition.

Ce document de Guillaume IX, duc d'Aquitaine, et qui date de 1088, est le plus vieux document des archives départementales.
Ce document de Guillaume IX, duc d’Aquitaine, et qui date de 1088, est le plus vieux document des archives départementales. – Mickaël Bosredon

Ces pépites dénichées dans les archives de petites communes, sont exposées à côté de documents mieux connus des médiévistes, tout aussi exceptionnels, comme le Grand cartulaire de l’abbaye de la Sauve-Majeure (XIIè-XIVè), le Livre velu de Libourne (XVe), L’Esclapot de Monségur (XVe) ou encore le Livre des Bouillons de Bordeaux (1401-1524). Le document le plus ancien conservé par les archives départementales, une confirmation faite par Guillaume IX, duc d’Aquitaine, à l’église de Bordeaux, et qui date de 1088, est également présenté.

« L’idée de l’expo est la déambulation dans une ville »

La réunion dans un lieu unique d’autant de trésors historiques, vaut à elle seule le détour. Mais cette exposition se veut aussi une porte d’entrée pour mieux comprendre la construction des réseaux urbains au Moyen-Âge. « L’idée de l’expo est la déambulation dans une ville » résume ainsi Agnès Vatican, qui souligne que « le fait d’avoir des archives est déjà un marqueur d’urbanité pour une commune, car cela veut dire que l’on a une structure urbaine qui va se charger d’administrer la ville. » Ce qui signifie aussi consigner par écrit « tout ce qui est relatif au droit et à l’organisation de la ville » et conserver ces documents.

Cela dit, « toutes les villes et les agglomérations n’ont pas conservé d’archives datant de tout le Moyen-Âge, qui court du Vè au XVe siècles » précise Sylvie Faravel, historienne et archéologue spécialiste du Moyen-Âge à l’université de Bordeaux-Montaigne, et commissaire de l’exposition. Elle précise que « l’on a surtout des traces à partir du XIe-XIIe siècles. »

« Les villes se créent autour d’un pôle, qui peut être une abbaye, un château, ou un port »

Cela tombe bien, puisque c’est entre le XIe et le XIVe que le territoire de la Gironde, espace caractérisé jusque-là par un réseau urbain peu dense largement hérité de l’Antiquité, connaît un essor urbain et que de nouvelles agglomérations voient le jour. « La notion de villes en Gironde peut paraître anachronique, s’empresse de préciser Sylvie Faravel, puisque le département de la Gironde n’existait évidemment pas au Moyen-Âge [il a été créé sous la Révolution en 1790]. A cette époque le territoire était découpé entre le diocèse de Bordeaux et celui de Bazas ». Bordeaux est alors déjà une métropole et devient à partir du XIIIe siècle capitale d’un duché d’Aquitaine, puis de Guyenne, sous l’autorité des Plantagenêt, à la fois ducs d’Aquitaine et rois d’Angleterre.

Sylvie Faravel, historienne et archéologue spécialiste du Moyen-Âge à l’université de Bordeaux-Montaigne, et commissaire de l’exposition
Sylvie Faravel, historienne et archéologue spécialiste du Moyen-Âge à l’université de Bordeaux-Montaigne, et commissaire de l’exposition – Mickaël Bosredon

C’est dans ce contexte que le réseau de villes (dont les principales étaient déjà Bordeaux, Blaye, Bourg, Libourne, Saint-Emilion, La Réole, Saint-Macaire, Bazas) se structure et se développe jusqu’à la fin du Moyen-Âge, et qu’un certain nombre de petites villes comme Blasimon, Branne, Gensac, Pellegrue, Lesparre-Médoc, voient le jour. « Généralement, elles se créent autour d’un pôle, qui peut être une abbaye, un château, ou un port au bord de la Garonne ou de la Dordogne » relève la commissaire de l’exposition.

« Les villes sont très soucieuses de préserver leurs droits, qu’elles ont peur de perdre »

Les documents présentés le long de l’exposition nous éclairent notamment sur « le rapport de la ville au pouvoir » souligne Sylvie Faravel. « Le parchemin de Guillaume IX, qui confirme une donation à l’église de Bordeaux, nous montre que les villes sont alors très soucieuses de rappeler ce qu’elles ont obtenu par le passé, pour ainsi préserver leurs droits, qu’elles ont peur de perdre. » Le Grand cartulaire de la Sauve-Majeure, la grande abbaye bénédictine du Bordelais à cette époque, regroupe aussi une série de confirmations des dons faits à l’abbaye entre les XIè et XIIIe siècles, tout comme ce parchemin en latin du roi Henri IV qui confirme les privilèges de Libourne, reprenant les lettres de ses prédécesseurs.

Deux registres ont été prêtés par les archives de Bordeaux Métropole, et notamment le Livre des coutumes de Bordeaux (1388) avec la liste des maires de Bordeaux de 1218 à 1297. La fonction de maire a été créée, pour certaines villes, au XIIè siècle. « Certaines villes obtiennent le statut de commune, ce qui veut dire une ville avec une organisation municipale – que l’on appelle jurades dans le Bordelais – qui peut être dirigée par un maire, raconte Sylvie Faravel. Pour éviter tout risque de corruption, les mandats des jurats et des maires sont très courts, de trois à cinq ans, et ils sont souvent renouvelés. » La longévité de l’emblématique Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux de 1947 à 1995, aurait ainsi été « absolument impossible au Moyen-Âge » relève l’historienne. Le mode d’élection n’avait toutefois rien à voir, puisque les jurats étaient désignés par un cercle de notables, les prud’hommes.

Certaines de ces communes (Bordeaux, Bourg, Saint-Emilion, et Libourne) « reçoivent en plus une autorité qui dépasse les limites de leur ville, et qui s’étend jusqu’à la banlieue, littéralement l’exercice du droit de ban [le pouvoir] sur un territoire clairement défini » poursuit Sylvie Faravel.

Les cartulaires, des « trésors » parfois enchaînés dans des coffres

L’autre document sur la ville de Bordeaux, le Livre des Bouillons est nommé ainsi en raison des gros clous de cuivre, « les bouillons », décorant sa couverture et servant à protéger le cuir. « C’est un document qui n’a pas brûlé dans l’incendie des archives de la ville de Bordeaux en 1865, car il était chez un particulier à ce moment-là », pointe Agnès Vatican. Au Moyen-Âge, ce livre était « le trésor de la ville », que l’on « accrochait avec des chaînes dans des coffres pour éviter les vols. »

Au Moyen-Âge les cartulaires étaient considérés comme de véritables trèsors et étaient parfois enchaînés dans des coffres.
Au Moyen-Âge les cartulaires étaient considérés comme de véritables trèsors et étaient parfois enchaînés dans des coffres. – Mickaël Bosredon

Autre trésor, le Cartulaire municipal de Libourne, dit Livre velu, datant du XVe siècle. Celui-ci est présenté ouvert sur la page juratoire, comportant une scène de crucifixion du Christ, image sur laquelle les jurats de la ville apposaient leur main afin de prêter serment lorsqu’ils étaient nommés. « C’est pourquoi on voit cette image du Christ qui s’est usée à force d’y poser la main » relève Sylvie Faravel.

Nombreux litiges entre communes

Beaucoup d’autres textes comportent également des règlements de litiges entre communes, nombreux au Moyen-Âge, notamment pour obtenir le droit de vendre le sel. « Le sel est un élément essentiel pour la conservation des aliments, rappelle Sylvie Faravel, et au Moyen-Âge on décharge le sel uniquement dans certaines villes qui ont le privilège de le vendre. Sur la Dordogne il y a Bourg, Libourne, et Bergerac, et sur la Garonne Bordeaux, La Réole et Agen. Et il y a eu de grandes animosités entre les villes pour obtenir ce droit, car cela attirait les commerçants. »

L’exposition est également conçue pour les enfants, avec des jeux d’enquête et des jeux en bois d’inspiration médiévale. Pour rendre le parcours plus ludique et interactif, des extraits du jeu vidéo A Plague Tale, Innocence (qui se déroule au Moyen-Âge et qui a recréé en partie la ville médiévale de Saint-Emilion) créé par le studio bordelais Asobo, sont diffusés.

Villes en Gironde au Moyen-Âge, jusqu’au 7 avril 2024 aux archives départementales, 72, cours Balguerie-Stuttenberg à Bordeaux. Entrée libre et gratuite, du lundi au vendredi (9h-17h) et le samedi (14h-18h).

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